Pour sa 20ᵉ édition, le Festival Arabesques a offert une large place à la scène algérienne, dans toute sa diversité. À Montpellier, musiciens et humoristes ont déployé des récits où s’entrelacent héritages populaires, regards contemporains et voix singulières. Du chaâbi aux fusions actuelles, du stand-up aux explorations plus intimes, ces artistes ont rappelé combien la culture algérienne demeure une force vive, capable de transmettre, d’émouvoir et de questionner.
Kamel El Harrachi : le chaâbi comme mémoire vivante
Le temps d’un concert, l’Amphi d’O a pris des airs d’Alger. Kamel El Harrachi, entouré de six musiciens, a ouvert une fenêtre sur la Casbah à travers le chaâbi, dont il est l’un des héritiers les plus fidèles. Sa voix posée, soutenue par des arrangements chaabi, guidait le public dans une traversée musicale où mémoire et continuité se mêlaient avec harmonie.
Au fil des morceaux, mandole, violon et percussions dialoguaient. Les instruments esquissaient les images d’une ville en mouvement, de l’avant-indépendance aux années 60-80, retraçant les grandes étapes d’une musique à la fois populaire et poétique.
Le concert a atteint son point culminant avec Ya Rayah. Le public, debout et en transe, a chanté à pleins poumons ce tube mythique devenu hymne planétaire, symbole de départ, de retour et d’espoir.
L’hommage à Rachid Taha
L’hommage à Rachid Taha a offert une autre forme de réflexion sur la musique comme espace de liberté et d’engagement. Le Couscous Clan, orchestré par Rodolphe Burger et accompagné de Sofiane Saidi et Yousra Mansour, a reconstitué un univers où rock et traditions algériennes dialoguent sans concession. Les morceaux choisis, de Rock el Casbah à Voilà, voilà, rappellent que la musique de Rachid Taha n’était jamais neutre mais une manière de penser le monde, de nommer les injustices et de dépasser les frontières. Le public, pris dans cette énergie collective, devient témoin et acteur d’une mémoire politique, où les chants transcendent le simple divertissement pour devenir des marqueurs de temps et d’identité.
Labess : l’exil et le dialogue des cultures
Avec son cinquième album Dima Libre, Labess, mené par Nadjim Bouizzoul, livre une ode à l’exil, à la mémoire et à la liberté. Entre chaâbi, gnawa, flamenco et folk, sa musique se déploie comme un manifeste audacieux, tissant des ponts entre les rives de l’Algérie et les horizons d’Amérique latine et d’Europe. Les langues se mêlent : darija, amazigh, arabe, français et espagnol formant une palette qui colore et enrichit le récit musical, tandis que rythmes et mélodies convoquent des héritages culturels multiples. Les compositions s’imposent comme un espace où se rencontrent souvenirs et émotions, un territoire sensible où le déracinement et la quête de liberté se font entendre, tout en restant profondément ancré dans la poésie et les réalités sociales de l’Algérie contemporaine.
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Flèche Love : l’intime comme langage universel
Avec Guérison, Flèche Love trace un parcours intérieur où la musique s’ouvre en éclats de mémoire et de renaissance. Sa voix convoque des images, éveille des sensations et invite à une plongée intime au cœur des blessures et de leur dépassement.
Le trio qu’elle forme avec un guitariste-clarinettiste et un violoncelliste esquisse une alchimie rare. Les cordes et les vents dialoguent avec le corps, bâtissant un paysage sonore mouvant où le silence devient aussi expressif que les notes. Entre les éclats mystiques de Naga et la profondeur introspective de Guérison, l’artiste compose une matière vivante qui oscille entre ombre et lumière.
La présence scénique est prolongée par la danse. Aux côtés de Flèche love, Émilie Verheul et Kilian Vernin traduisent par leurs gestes les contradictions, les élans et les espoirs d’une âme en quête de paix. Ils incarnent à la fois le feu et la vulnérabilité, amplifiant la voix dans un tableau hypnotique où mouvement et chant ne font plus qu’un.
La performance se vit comme un rituel. Chaque respiration, chaque suspension semble ouvrir un espace où l’intime se déploie en universel. La musique de Flèche Love n’est pas une échappée, mais une confrontation douce avec la douleur, la mémoire, et ce qui résiste en soi.
Guérison prend la forme d’un acte artistique et spirituel. Entre blessure et renaissance, l’artiste a invité son public à se laisser traverser, à lâcher prise, et peut-être à guérir le temps d’un souffle.
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L’humour en contrepoint
La programmation a également donné voix aux humoristes. Houria Les Yeux Verts a abordé la scène avec Enfin moi !, un seul-en-scène qui mêle humour et réflexion sociale. Elle y raconte la vie des femmes, leurs épreuves, leurs contradictions et leurs choix, avec une franchise qui touche autant qu’elle amuse. « Enfin moi, c’est l’histoire de ma vie qui peut parler à toutes les femmes. Tout ce qui peut se passer dans la vie d’une femme éprouvée, j’en parle sur scène et on en rigole », explique-t-elle.
Son spectacle transforme l’intime en universel. À travers le rire et l’observation, elle ouvre un espace où la mémoire culturelle, certaines traditions familiales et les mutations sociales peuvent se croiser.
Le lendemain, l’Amphi d’O s’est animé avec le spectacle Comte-moi si tu peux du Comte de Bouderbala & friends. Aux côtés d’Abder Damoun, de Salima Guerziz et de Rudy Doukhan, les humoristes ont proposé au public un spectacle à mi-chemin entre satire percutante et improvisation jubilatoire, qui a multiplié les clins d’œil à l’actualité et aux travers de la société, tout en laissant place à la spontanéité et à l’interaction avec la salle.
« L’humour est une respiration, et par les temps qui courent il est essentiel de garder le sourire », a rappelé Samy Ameziane, alias le Comte de Bouderbala, en soulignant le rôle salvateur du rire dans un contexte traversé par la tension et l’incertitude. Son humour ne se limite pas à divertir, il ouvre un espace de légèreté collective, où le rire devient à la fois un langage commun et un vecteur de résilience.
ONB, trois décennies d’énergie et de fraternité
Pour clore cette 20ᵉ édition du festival Arabesques, l’Orchestre National de Barbès a offert une dernière performance. Malgré une pluie tenace, ni le groupe ni le public n’ont perdu leur élan. Au contraire, l’ONB a su rallumer la chaleur de la soirée avec son répertoire entraînant et dansant, mêlant chaâbi, gnawa, raï et rock comme il le fait depuis trente ans.
Quand s’élève Allaoui, un souffle puissant envahit l’Amphi d’O. Les corps se lèvent, les mains frappent, les sourires éclatent, la jubilation devient contagieuse, et le public entre dans une transe collective, oscillant entre exaltation et extase. La musique de l’ONB relie, rassemble et fait ressentir, à travers ses rythmes frénétiques et ses mélodies obsédantes, la force d’un héritage vivant et en mouvement.
Du chaâbi aux fusions musicales, de l’exil aux récits intimes en passant par l’humour, la scène algérienne présentée à Arabesques a révélé toute sa richesse. Elle conjugue diversité et profondeur, mêlant langues, instruments, voix et histoires pour tisser un paysage complexe où mémoire, modernité et identités multiples se rejoignent.
