Avec Des hommes libres, la réalisatrice Taghzout Ghezali nous propose une immersion de 66 minutes dans l'univers de Kateb Yacine, figure complexe et fascinante de la littérature algérienne contemporaine. Plus qu'une biographie classique, le documentaire se présente comme une tentative de déconstruction du mythe de l'auteur de Nedjma. Il explore Kateb sous de multiples facettes : le fils, le frère, le père, l'ami, l'intellectuel, le féministe et le révolutionnaire.
La réalisatrice tisse habilement une trame narrative qui alterne entre les témoignages de ses proches et de ses collaborateurs ainsi que les analyses discursives de son œuvre. En s’appuyant sur les archives de la télévision algérienne, le fond personnel de la famille de Kateb (son fils Amazigh et son épouse Zebeïda Chergui), elle enrichit le récit d'éléments précieux et offre une facette intime et humaine de l'homme qui était derrière l'écrivain.
La présence dans le documentaire d'intervenants tels que sa sœur, Fadila Kateb, ses compagnons Merzoug Hamiane, le journaliste Ahcen Zahraoui ou encore le metteur en scène Salim Bensdira ponctuent le récit. Leurs souvenirs et anecdotes esquissent un portrait nuancé, loin de l'image parfois figée de l'intellectuel. L'élément central de la trame est son contexte : son fils Amazigh Kateb, qui, de retour sur la terre natale de son père, tente de rassembler des éléments et récits. On y perçoit cette vive volonté de faire le deuil de la disparition de son père survenue brusquement un certain 28 octobre 1989. “Aujourd’hui, Kateb Yacine occupe une place centrale dans mon existence. Je partage ma vie avec son fils Amazigh et c’est à ses côtés que je me lance dans ce voyage émotionnel à travers la mémoire et l’histoire, pour recueillir les témoignages de ceux qui ont connu et aimé Yacine, et pour comprendre quel héritage subsiste, plus de trente ans après sa disparition”. On peut y lire dans la note d’intention du documentaire. Taghzout Ghezali, épouse de Amazigh Kateb, nous livre un récit à la fois didactique et personnel.
La musique d'Amazigh Kateb, omniprésente, ne se limite pas seulement à illustrer le film ; elle dialogue avec les images, créant une atmosphère à la fois mélancolique et vibrante, en écho à la puissance des textes de son père.« Le documentaire ne prétend pas être exhaustif de sa vie et de son œuvre. Il vise plutôt à déconstruire certains mythes autour de Kateb Yacine et à le faire découvrir aux jeunes et moins jeunes, et à questionner son héritage plus de 30 ans après sa disparition », nous confie Taghzout Ghezali.

L'intention de "déconstruire le mythe" se concrétise dans l'exploration des multiples bribes de vie de “l’homme-médium”. La réalisatrice n'hésite pas à aborder des aspects complexes de sa pensée. Sont ainsi examinés des éléments tels que sa vision de « la révolution socialiste » et la manière dont il a tenté de poser les jalons des bases matérielles de l’indépendance algérienne ou encore son engagement pour la reconnaissance de l’identité amazighe.
Des hommes libres se révèle un documentaire nécessaire pour quiconque s'intéresse à la littérature algérienne et à la figure emblématique de Kateb Yacine. Comme le disait Ernest Hemingway, « Un classique est un livre dont tout le monde parle et que personne ne lit ». Cette sentence résonne particulièrement avec la figure de Kateb Yacine, souvent citée, mais dont la profondeur de l'œuvre reste méconnue du grand public.
Le documentaire continue de sillonner l'Algérie à la rencontre de son public algérien. Après les Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB 2024) et l'Institut français d'Alger le 23 avril dernier, il sera projeté dans les Institut français d'Algérie, le 26 avril à Constantine, le 29 avril à Tlemcen et le 30 avril à Oran.