C’est une immense figure du désert algérien qui vient de s’éteindre. Hier, lundi 21 avril 2025, Lalla Badi, connue et aimée pour ses chants Tindi et sa voix enracinée dans les sables du Sahara, est décédée à l’âge de 88 ans au CHU de Tizi Ouzou. Elle avait été hospitalisée quelques jours auparavant. Son départ laisse un grand vide dans l’univers culturel touareg, mais son héritage musical, lui, continue de vibrer, quelque part entre les montagnes du Hoggar.

C’est là, justement, dans cette région reculée du Sud, qu’elle voit le jour en 1937 à In Guezzam. Enfant, elle grandit entourée de chants et de récits transmis par sa mère, Lansari Bakka. Très jeune, elle se passionne pour le Tindi, ce chant profond, souvent lié aux rassemblements de femmes touarègues, et commence à consigner, de mémoire, des poèmes transmis oralement depuis des générations. À dix ans à peine, elle avait déjà compris l’importance de préserver cette richesse invisible.
Tout au long de sa vie, Lalla Badi a été bien plus qu’une chanteuse. Elle portait en elle l’âme d’un peuple. Avec son voile noir noué tel une armure, elle incarnait la grâce, la fierté et la force féminine du Sahara. Elle n’a jamais hésité à bousculer les traditions, ajoutant aux rythmes ancestraux des instruments modernes, comme la guitare électrique ou la basse, donnant ainsi naissance à un son unique, métissé, qu’on a parfois surnommé le « Tindi-blues ». Grâce à cette audace, elle a conquis les jeunes et permis à sa musique de franchir les frontières.
Avec le groupe Tinariwen, Lalla Badi contribuera à faire rayonner les sonorités de la musique touarègue bien au-delà des frontières du Sahara. Ensemble, ils portent la voix du désert sur les scènes internationales. Leur passage au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, en 2015, reste gravé dans les mémoires comme un moment suspendu, d’une beauté brute. Deux ans plus tard, la première bande sonore de Lalla Badi voit le jour, saluée par la critique pour son authenticité et sa touche résolument moderne.
Mais Lalla Badi n’était pas qu’une voix puissante. Elle était aussi mémoire vivante, militante discrète, passeuse de culture. Pendant des années, elle a œuvré avec l’Office du parc national culturel de l’Ahaggar, cherchant à sauvegarder ce qui ne s’écrit pas, ce qui se chante, se danse, se vit autour du feu ou dans les replis du vent.
Son engagement a été reconnu par les institutions algériennes. Le président Abdelmadjid Tebboune lui-même s’était enquis de son état de santé durant son hospitalisation. Lalla Badi en avait été touchée, elle qui était restée, malgré tout, fidèle à sa simplicité. Jusqu'à la fin, elle est restée digne. Quelques jours avant sa disparition, affaiblie, mais encore claire d’esprit, elle remerciait les proches et les anonymes qui l’avaient soutenue.
Sa dépouille sera transférée à Tamanrasset, sa terre natale, pour y être inhumé auprès des siens. Le wali de Tamanrasset, Mohamed Boudraâ, a adressé un message de condoléances à sa famille, saluant en elle une femme qui a su inspirer bien au-delà des générations.
Le décès de Lalla Badi n’est pas seulement une perte pour la musique touarègue. C’est toute une culture qui pleure l’un de ses emblématiques piliers. Une femme qui a su allier le passé et le présent, transmettre sans jamais trahir, chanter sans jamais s’arrêter. Sa voix, aujourd’hui, se tait. Mais dans les tentes du Tassili, dans les guitares nomades et dans les souvenirs de ceux qu’elle a touchés, elle continue de chanter.
Une étoile s’est couchée sur l’Ahaggar, mais sa lumière, elle, restera.