Enfin un ouvrage qui fait voyager la graine magique dans l’espace et dans le temps et recommande d’en préserver sa richesse et sa diversité
« Le couscous est un raffinement, même lorsqu’il est préparé seulement avec de l’eau. » Ce proverbe de Tlemcen, cité en ouverture de l’ouvrage Le Couscous, Racines & Couleurs d’Algérie de Yasmina Sellam (1), donne d’emblée le ton : celui d’un hommage sensible à un plat emblématique dont la richesse transcende les frontières et les époques.
Préfacé par l’historien et archéologue Abderrahmane Khelifa, ce livre comble un vide conséquent dans la littérature culinaire algérienne. Il met en lumière l’ancrage africain du couscous, un mets dont la présence est attestée de la Méditerranée au Sahel, du Maghreb à l’Afrique de l’Ouest, témoignant de circulations anciennes, souvent méconnues.
Yasmina Sellam, ingénieure agronome, ancienne enseignante à l’ENS d’Alger et chercheuse passionnée, nous propose un voyage inédit, à la fois historique, linguistique et gustatif. Qualifiée de « cheffe érudite », elle est également curatrice de la table d’hôtes Dar Djeddi, où elle fait dialoguer savoirs traditionnels et pratiques culinaires savantes.

Aux origines céréalières et culturelles du couscous
La première partie de l’ouvrage revient sur les racines et la vocation agricoles de l’Afrique du Nord, en particulier en matière de céréales, depuis le Néolithique (environ 5000 av. J.-C.). Cette Histoire remet en question la centralité du Croissant fertile (Mésopotamie) dans les récits dominants. L'autrice met en lumière le rôle stratégique du blé sous le règne de Massinissa et retrace l’évolution de la recette du couscous, influencée par l’introduction tardive d’épices venues d’Orient et des Amériques.
Yasmina Sellam s’est intéressée à l’évolution du terme « couscous » à travers les âges et les territoires. Les nombreuses appellations témoignent des circulations et des réinventions de ce plat dans l’histoire. « Dans la littérature précoloniale et postcoloniale, les orthographes du couscous se sont multipliées, selon les pays, les époques et les déductions de chacun. Pour Rabelais, il s'agit du coscosson » et du coscoton ; pour Cervantès, c'est du « cuzcuz » [] En Turquie, adopté par le biais des régences d'Afrique du Nord, il est appelé kuskus, au Machrek, c'est de la moghrabia (maghrébine) ; en Palestine, el maftoul (le roulé) ; et en Espagne, alcuzcuzů. ». L’orthographe « couscous » se fixe véritablement au milieu du XIXe siècle, notamment avec l’apparition de la production industrielle en Algérie, dont l’usine Ricci à Blida est l’un des symboles.
Une mosaïque de goûts, de régions et d’histoires.
Dans la deuxième partie, l’ouvrage invite à une véritable exploration sensorielle. Yasmina Sellam y recense des recettes locales souvent méconnues, dévoilant un patrimoine culinaire d’une richesse insoupçonnée. La diversité des couscous est remarquable. Couscous de la mer – à la sardine ou à l’encre de seiche –, typiques des ports de Ténès et de Mostaganem, où ils étaient traditionnellement préparés par les marins, ou couscous rustiques des montagnes, tel le sekssu avissar. Ne sont pas en reste les variantes sahariennes comme le aïche srayer de Timimoun, apparenté au ouchou souffer de Ghardaïa. Ces recettes incarnent à la fois des savoir-faire ancestraux et des identités locales singulières.
L’autrice consacre une attention particulière à son couscous signature, le masfouf el ward de Mila, un couscous à la rose, rare et raffiné, qu’elle relie aux influences abbassides et ottomanes. Elle insiste sur la nécessité de valoriser et de protéger ces recettes, véritables marqueurs culturels, souvent menacées par l’homogénéisation des pratiques culinaires.
Plus qu’un simple inventaire de recettes, Le Couscous, Racines & Couleurs d’Algérie est un plaidoyer éclairé en faveur de la sauvegarde du patrimoine culinaire algérien et plus largement maghrébin voire méditerraneen et africain. Il nous pousse à réfléchir sur les effets de la standardisation de la cuisine algérienne dans les restaurants, à questionner la banalisation de pratiques culinaires profondément enracinées dans les territoires, et à défendre la nécessité d’une reconnaissance formelle de nos recettes comme produits L'Appellation d'origine protégée (AOP).
L’ouvrage constitue ainsi une contribution précieuse à la connaissance, à la transmission et à la valorisation du couscous algérien dans toute sa diversité, sa profondeur historique et sa dimension symbolique. Il est disponible dans les librairies d'Algérie ainsi qu’auprès des éditions ANEP.
(1) Le Couscous, Racines & Couleurs d’Algérie de Yasmina Sellam (éditions ANEP, octobre 2024)