Alors que cette semaine marquait le 36e anniversaire de la mort de l’écrivain et dramaturge algérien de renom Kateb Yacine, la rédaction de Dzdia a rencontré la cinéaste Rahma Benhamou El Madani, réalisatrice des documentaires hommages Unis vers Kateb (2019) et Le Peuple (2025). Deux films qui décryptent la vie et les œuvres de cet auteur qui aura marqué de son empreinte la littérature francophone moderne.
Entretien.
« Kateb Yacine est un poète, écrivain, dramaturge amoureux de la révolution »
Dzdia : Nous commémorons cette semaine les 36 ans de la mort du célèbre écrivain Kateb Yacine. Deux générations l’ont désormais succédé, sans l’avoir connu de son vivant. Vous avez consacré près de vingt ans de votre carrière de cinéaste à décrypter ses œuvres. Comment le présenteriez-vous à un jeune public curieux ?
Rahma Benhamou El Madani : Kateb Yacine est tout simplement un poète, écrivain et dramaturge algérien amoureux de la révolution. On l’appelait même “le Peuple” ou “le Rebelle amoureux”. C’est l’un des écrivains algériens les plus reconnus à l’international, célébré pour sa plume, son authenticité et sa fidélité à ses idéaux de liberté et de justice.
C’est aussi un écrivain-poète politiquement engagé, doté d’un esprit critique total. Il aborde souvent les mêmes thèmes : la révolution, les racines, la guerre, la colonisation. Des sujets tragiques, mais qu’il traite aussi dans son théâtre avec humour, satire et vitalité.
Le théâtre au cœur des deux films
Dzdia : Vous avez réalisé deux films sur Kateb Yacine, Unis vers Kateb (2019) et Le Peuple (2025). Dans ces documentaires hommages, c’est surtout le théâtre de Kateb Yacine que l’on découvre…
Rahma Benhamou El Madani : Oui, j’ai terminé cette année Le Peuple, qui sortira en salle entre mars et mai 2026. J’avais déjà réalisé Unis vers Kateb en 2019, un court-métrage disponible sur la plateforme tunisienne Artify.tn, présenté notamment aux Rencontres cinématographiques de Béjaïa.
Ces deux films se concentrent sur Kateb Yacine le dramaturge. Le Peuple est enchevêtré avec son œuvre théâtrale. Du début à la fin, la voix-off de l’auteur nous guide entre des extraits de Mohamed prends ta valise et Le Cadavre encerclé. L’idée était de laisser son œuvre émerger d’elle-même, sans passer par l’intermédiaire de chercheurs ou d’experts.
Un prologue pour comprendre l’auteur
Dzdia : Comment est né le projet Unis vers Kateb ? Et en quoi s’inscrit-il dans la continuité du long métrage Le Peuple ?
Rahma Benhamou El Madani : Unis vers Kateb est en réalité le prologue de Le Peuple. On y découvre le prologue de la pièce Mohamed prends ta valise (produite en 1972), interprété par une quinzaine de jeunes acteurs de Béjaïa. Ils étaient encadrés par Mahfoud Lakroune, comédien fétiche de Kateb Yacine, dans un contexte marqué par le Hirak.

Ce court-métrage de 26 minutes pose une question essentielle : comment l’œuvre de Kateb Yacine parle-t-elle encore à la jeunesse d’aujourd’hui ? La réponse est dans le film. Plus de quarante ans après, son œuvre continue de toucher les jeunes. C’est ce qui est merveilleux avec Kateb Yacine : son œuvre ne vieillit pas.
Une pensée encore d’actualité
Dzdia : Qu’est-ce qui, selon vous, reste d’actualité dans son œuvre ?
Rahma Benhamou El Madani : Elle est imprégnée de questions postcoloniales qui traversent toujours notre époque. En France, une partie de la jeunesse issue de l’immigration — une immigration que raconte déjà Kateb Yacine — s’intéresse à l’histoire coloniale avec un regard neuf. Ce regard rejoint celui de l’auteur : reconnaître toutes les formes de souffrance et de spoliation.
Kateb Yacine commence à écrire après les manifestations du 8 mai 1945 à Sétif, terminées en massacre. C’est à partir de cet événement qu’il décide de raconter son peuple. Cette histoire entre la France et ses anciennes colonies, et en particulier l’Algérie, n’est pas close. C’est en cela que Kateb Yacine, l’anticolonialiste, reste d’une brûlante actualité.
« Je suis né quand j’avais seize ans, le 8 mai 1945. Puis, je fus tué fictivement, les yeux ouverts, auprès de vrais cadavres et loin de ma mère. » – Kateb Yacine
Redécouvrir Kateb Yacine aujourd’hui
Dzdia : Pour conclure, pouvez-vous conseiller un ouvrage de Kateb Yacine à ceux qui aimeraient le découvrir ?
Rahma Benhamou El Madani : Je conseillerais Nedjma. C’est son œuvre la plus connue, celle qui l’a propulsé sur la scène littéraire de son époque. J’ai moi-même découvert Kateb Yacine à travers ce roman lorsque j’étais étudiante.
Mais au-delà de ce seul livre, il faut dire que chaque œuvre de Kateb Yacine dialogue avec les autres. C’est un véritable Polygone étoilé, pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages les plus célèbres. Ses textes se répondent : mêmes personnages, mêmes lieux, mêmes thèmes. Tout forme un ensemble cohérent et vivant.est à dire que l’on retrouve souvent les mêmes personnages, les mêmes lieux, les mêmes situations, les mêmes thèmes dans chacun de ses écrits.
